vendredi 25 novembre 2011

Anne-Sophie : une stagiaire hors norme

Anne-Sophie fait partie du groupe des 639 stagiaires de la Commission européenne qui ont entamé leur cinq mois de stage en octobre dernier. Mais contrairement à la grande majorité de ses collègues, elle est belge. Un détail, en principe anodin, mais qui est pourtant lourd de conséquences pour la jeune femme. Car au fond, elle se sent tiraillée par deux mondes qui s'avèrent antagonistes: sa vie personnelle et l'univers des stagiaires.

Anne-Sophie dans un bar bruxellois (c)L'e-ris.

 Le jeudi soir, sur la place du Luxembourg en pleine effervescence, les stagiaires se côtoient, se mélangent, s'entremêlent jusqu'à se fondre dans une seule masse de jeunes nantis aux parcours similaires. Nombreux sont ceux qui proviennent du gratin des pays européens. Depuis leur enfance, ils sont habitués à fréquenter des diplomates, des hommes politiques et même des chefs d'État. Mais dans cette foule qui va et vient autour de la statue verdâtre de John Cockerill, Anne-Sophie se situe au dessus de la mêlée.

Elle est née au sein d'une famille de classe moyenne du Brabant wallon. Son père travaille dans les assurances et sa mère est professeur. Ses grands-parents, eux, travaillaient dans les mines de charbon de la région. « Les autres stagiaires sont toujours surpris de mes origines peu communes. Selon eux, je sors vraiment de la norme! », rigole-t-elle. « J'ai toujours du mal à comprendre leur étonnement ».

Cependant, lorsqu'on prend connaissance du bagage professionnel de la jeune femme, cet « étonnement » prête à sourire! À 25 ans, Anne-Sophie parle quatre langues : français, néerlandais, anglais, espagnol en plus de quelques notions de bulgare. Entre 2005 et aujourd'hui, elle a obtenu un bachelier en Sciences politiques à l'ULB. Ensuite elle a fait deux masters à Gand, le premier en Études européennes, le deuxième en Économie générale, pendant lequel elle est partie en Erasmus à Sofia. Et enfin, elle a réalisé un troisième master à la LSE (London School of Economics and Political Science). Son parcours ne s'arrête pas là, car entretemps, elle a enchaîné plusieurs jobs au Parlement européen; au cabinet du ministre de la Défense ou encore; à l'ambassade de Belgique en Argentine. Bref, Anne-Sophie n'a pas à rougir de son « background ».

La monotonie s'installe

Comme ses collègues, elle doit enchaîner son travail et les soirées « after work » . À chaque jour sa fête! Blasée, elle a fini par se sentir enfermée dans le microcosme des institutions européennes. « C'est un peu paradoxal. Je veux passer du temps avec les autres stagiaires mais en même temps, je veux m'en éloigner », dit-elle d'une voix posée. « Parfois je me sens étouffée, car je suis toujours entourée par les mêmes gens et je fréquente avec eux les mêmes endroits ».

Toutefois, Anne-Sophie s'est plutôt bien intégrée dans ce milieu de travail. Mais elle a le sentiment d'être une sorte de stagiaire à temps plein, écartelée entre ses collègues, sa famille et ses amis belges. D'un côté, certains stagiaires ont du mal à comprendre qu'elle mène une vie en dehors de l'Union européenne et qu'une fois le week-end arrivé, elle veuille passer du temps avec ses vieux amis et avec sa famille en Wallonie .

De l'autre côté, les membres de sa famille se sentent souvent relégués au second plan. Mais ils continuent à l'encourager dans chaque étape de son parcours professionnel. « Ils veulent que je fasse mieux qu'eux, même si cela implique des longues périodes de séparation ou tout simplement, des journées pendant lesquelles on se voit que quelques heures », dit-elle. Anne-Sophie s'évertue donc à trouver tous les jours un équilibre entre la sphère personnelle et la sphère professionnelle. Nonobstant, la tâche est loin d'être facile!

Pour cause, les diverses soirées, au-delà d'être un moment de détente, s'imposent comme une pratique rédhibitoire pour tout stagiaire qui envisage de se frayer un chemin dans les institutions européennes. « Il s'agit presque d'une contrainte où tu dois vraiment rester en contact avec les autres , sinon ils te perdent de vue. Pour mon avenir professionnel, je dois essayer de garder les portes ouvertes. C'est la raison d'être du networking! », avoue-t-elle en tremblotant de froid. Mais l'envers du décor de ce monde festif n'est pas sans poser problème pour la jeune femme.

En effet, « l'apparence » est le mot d'ordre qui règne dans le microcosme des stagiaires. Chacun doit s'y tenir pour soigner son image. Et derrière les masques, le regard des autres est d'autant plus pressant qu'il peut déterminer l'avenir lointain des jeunes recrues. Mais Anne-Sophie ne se laisse pas prendre pour dupe : « Je ne fais pas confiance à tout le monde. Je sais que beaucoup cherchent uniquement à se servir de moi. Parfois c'est très frustrant...Mais bon, partout il y a du bon et du mauvais ». Conclut-elle avant de partir hâtivement pour prendre son train vers son village.

Mardi soir à 20h, Anne-Sophie nous donne rendez-vous devant l'entrée du Berlaymont, le siège de la Commission européenne à Schuman. Elle s'approche à petits pas d'une démarche titubante. Comme d'habitude, son style vestimentaire se trouve à mi-chemin entre élégance et simplicité.

« J'ai très mal aux pieds! », nous confiera-t-elle plus tard. Après une longue journée de travail à l'Unité de transparence de la commission, elle est allée à son cours de tango hebdomadaire « pour ne pas oublier ce qu'elle a appris en Argentine ». « La plupart de mes collègues vont seulement aux cours organisés par le Comité des stagiaires mais le mien se déroule en dehors de la Commission. Il faut dire que c'est assez dépaysant pour moi », nous dit-elle en parcourant des yeux le menu d'un restaurant italien. « Bientôt je vais me mettre à la salsa! ».

Et après le stage?

Anne-Sophie espère trouver un travail stable mais elle craint que ça ne soit pas pour bientôt. En effet, les règles absurdes du marché de l'emploi risquent de mettre la jeune stagiaire face à un obstacle plus que paradoxal : elle est sur-qualifiée. Elle envisage donc de tenter sa chance aux concours de l'Union Européenne pour gravir les échelons des institutions. « Plus tu montes , plus tu vois loin! J'ai dû faire beaucoup de sacrifices pour arriver où j'en suis. Je ne veux pas m'arrêter là », affirme-t-elle en fixant la fenêtre du restaurant avec ses yeux couleur turquoise. Comme si elle s'égarait dans ses rêves.


 Alejandra Mejía Cardona

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